Saxo soprano de Sidney Bechet (11/05/2013)

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 Fait divers le 7 mai 2013

à Paris 4ème

 

 

 

SAXOPHONE SOPRANO D ETUDE ANTOINE SONNET SAX S1

Texte écrit par Lucien Maillard : le gardé à vue

Un bon conseil : évitez de défendre d'excellents musiciens qui jouent dans la rue. Sinon, vous finirez au poste! C'est la mésaventure qui m'est arrivée dimanche midi et qui m'a valu 7 heures de garde à vue au commissariat de la Bastille alors que les amis de Mélenchon et du PCF défilaient à cent mètres de là. Je ne voulais pas en parler ici mais depuis que j'ai la version des musiciens - qui m'ont retrouvé ici grâce aux amis de Sciences-Po -, je ne peux pas taire l'injustice dont ils sont victimes. 
Les faits : 
Dimanche, en allant au marché Monge avec mon amie, nous avons écouté Olivier et Jean-Baptise Franc, deux formidables jazzmen qui se produisent de temps à autre sur le petit pont qui relie l'île Saint-Louis à l'île de la Cité, au chevet de Notre-Dame. Nous avons déposé quelques pièces puis poursuivi notre balade dominicale. 
Retour du marché, à 12 h 30, nous avons constaté que les musiciens ne jouaient plus mais qu'ils discutaient avec un 'agent de police' vététiste. Un petit groupe de spectateurs - des habitués, des gens du quartier - protestait. L'un d'eux parlait même de honte. Je lui demande des explications et il me dit que sur la plainte d'un riverain (qui ? où ?), deux policiers vététistes étaient intervenus pour demander aux musiciens de s'en aller. Je tente alors d'expliquer au pandore que ces musiciens se produisent tous les dimanches depuis au moins dix ans et que nous les apprécions. Son collègue - qui avait signifié au pianiste et au saxophoniste - leur obligation de lever le camp vient vers moi en me traitant quasiment comme un délinquant. "Vous n'avez pas protester", me dit-il. Et, curieusement, il colle presque son visage contre le mien, chauffé à blanc. Je passe sur son outrance. Il me lance - un dimanche à midi et demi, au milieu d'un pont où passent des centaines de touristes - : "Je pourrais vous mettre une amende pour cris et vociférations". Je lui tiens tête et lui demande au nom de quelle loi, il peut exiger le départ des deux musiciens talentueux, à l'endroit même où se produisent, le samedi et le dimanche, des saltimbanques bien moins inspirés... "C'est du tapage diurne", m'affirme-t-il. Je ne peux m'empêcher de rire et d'ajouter : '" C'est bien une législation de tarés!" Les renforts qu'il avait appelés continuent d'arriver et il me dit : "Vous m'avez traité de taré, c'est un outrage". Je lui assure que je veux bien, sur le champ, aller à pied boulevard Bourdon pour en parler avec lui au commissariat. Une voiture de police vient m'embarquer, avec sirène et tout le tintouin... 
Au commissariat, passons sur les détails : fouille au corps, à poil, et placement en cellule après un premier contact avec un officier de police judiciaire peu accommodant. 
- Vous avez un avocat ? 
- Non. 
- Vous en voulez. 
- Non car je n'ai commis aucun délit. Je suis dans mon bon droit. 
- Vous voulez voir un médecin ? 
- Non. 
- Vous signez votre garde à vue ? 
- Non car elle est illégale et injustifiée. 
- Je vous notifie une garde à vue de 24 heures... 
Redescente dans la cellule qui puait l'urine. 
Vers six heures et demi, une charmante inspectrice vient me chercher : 
- Monsieur, on va faire une petite promenade...
Là, c'est l'identification judiciaire. Empreinte de tous les doigts, des paumes des mains, photos anthropométriques avec et sans lunettes.
Je rencontre alors un officier de police charmant, courtois, plein de tact, qui écopute mon histoire et m'explique que les agents de terrain sont un peu stressés, qu'ils doivent intervenir dès qu'on les appelle. Je comprends alors que les deux policiers qui m'ont chargé dans leur rapport me reprochent surtout de les avoir traités 'avec condescendance'. Voilà ce qui les avait blessés... Ils ne pouvaient pas comprendre que c'est la condescendance que j'éprouve pour tous ceux qui méprisent la culture, la musique. La bonne musique. 
Le garçon auquel j'avais été confié était intelligent, mesuré. Coup de bol : il était né le même jour que moi, trente ans plus tard... Je suis sorti à huit heures et demi du soir du commissariat du bd Bourdon avec un rappel à la loi, le parquet n'ayant pas voulu aller plus loin. 
Je n'en veux à personne, aujourd'hui. Simplement, à la lumière de ce que m'a rapporté le musicien, l'attitude de l'un des policiers a été déplacée car il a voulu saisir - faute de pouvoir embarquer le piano - le saxophone soprano qui n'était autre que celui de Sidney Bechet offert par un collectionneur à ce grand interprète. Estimation de l'instrument : 117.000 euros
Ma mésaventure soulève plusieurs questions : 
1) peut-on simplement discuter avec des gardiens de la paix d'une mesure subie par un tiers et qui paraît injuste ? 
2) peuvent-ils décider de vous jeter dans une geôle sans vous avoir écouté ? 
3) Un avocat ami, ici, sur ces deux points peut-il me répondre ? 
4) Enfin, sera-t-il encore possible d'accueillir de grands musiciens de jazz qui jouent gratuitement dans la rue, dans le 4ème arrondissement livré aux marchands de fripes et aux glaciers ? 
Il faut absolument se mobiliser pour que ce harcèlement tatillon, bureaucratique, contre la culture vivante, allègre (Sidney Bechet!) ait droit de cité entre l'île de la Cité et l'île Saint Louis. J'appelle tous mes amis musiciens, comédiens, élus et hauts fonctionnaires (certains, me dit-on, aiment encore le jazz) à soutenir la démarche de ces deux artistes qui souhaitent, selon un programme arrêté d'avance, pouvoir toujours nous transporter à la Nouvelle Orléans... 
De cette histoire qui me vaut d'être fiché comme un délinquant, je n'ai retenu que l'aspect positif : avoir été mis en garde à vue pour la défense de 'Petite Fleur' et de 'Summertime', avoir été embastillé à la Bastille le dimanche anniversaire de l'élection de François Hollande et avoir médité, couché sur le banc en béton d'une cellule, sur Bouvard et Pécuchet qui s'étaient rencontrés de l'autre côté du boulevard. Au fond, c'est toujours Flaubert qui a le dernier mot...

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00:15 Écrit par JCJ | Lien permanent | Commentaires (1) |  Facebook | |  Imprimer | |