06/05/2011
Les baux commerciaux à l'épreuve de la crise
On a lu N°59 ... Sur internet
Baux commerciaux + la crise =
beaucoup de soucis
Initialement conçues pour protéger les commerçants, les dispositions applicables en matière de baux commerciaux ont tendance à crisper les rapports locatifs en temps de crise. Si les évolutions légales récentes vont dans le sens de la liberté contractuelle, on ne peut que souhaiter que les réformes soient moins timides, afin d’aider les parties et les tribunaux à résoudre des situations que l’application de la loi, telle qu’elle est, risque bien souvent d’aggraver.
Les rapports locatifs ont été affectés par la crise économique. Historiquement inspirées d’une volonté de protéger les commerçants, les dispositions applicables en matière de baux commerciaux ont vocation à régler de façon commune des situations très diverses allant de la petite boutique au grand centre commercial, en passant par le bureau auxquels s’appliquent des mécanismes complexes à l’origine de contentieux que les praticiens et les parties souhaitent depuis longtemps réduire, sans y parvenir réellement. Résultat, en dépit d’une volonté certaine de privilégier la liberté contractuelle, le recours au juge reste bien souvent la seule alternative permettant de trancher un différend en rapport avec le bail. Dans un contexte économique de crise, le temps et l’argent apparaissent comme étant plus que jamais le nerf de la guerre ; les mécanismes de protection mis en place semblent donc se retourner contre la partie que l’on a entendu protéger. Quelques exemples illustrent clairement ce propos…
Commençons par la durée minimale des baux commerciaux. Le législateur a prévu que celle-ci était de neuf ans et que seul le locataire pouvait résilier de façon anticipée le bail à l’occasion de périodes triennales (à la condition toutefois que les parties n’aient pas dérogées à cette règle en prévoyant une durée plus longue). Cette disposition engendre un effet pervers en temps de crise, lorsque le locataire exprime le besoin de mettre un terme de façon anticipée au bail. À défaut d’accord avec son bailleur, celui-ci reste en effet tenu au règlement des loyers et charges jusqu’à la fin de la période triennale en cours, ce qui risque de compromettre définitivement sa situation.
Un autre obstacle au règlement rapide des difficultés de chacune des parties concerne la durée et la technicité des procédures, qui s’étalent sur plusieurs années et entraînent quasis systématiquement la désignation d’un expert judiciaire. Il est ainsi de plus en plus fréquent qu’une simple procédure en fixation d’un prix aboutisse à un jugement qui rétroagit sur une période importante créant pour chacune des parties un risque de trésorerie extrêmement important. Le législateur est certes intervenu à l’occasion de la loi de sauvegarde du 26 juillet 2005, afin d’assouplir les conditions de résiliation par le locataire, prévoyant désormais que l’administrateur judiciaire a le pouvoir de mettre fin au bail à tout moment sans préavis dans un cadre échappant quasiment à tout formalisme. Mais l’on passe du coup d’un extrême à l’autre, de situations où les difficultés s’accumulent au fil des années que durent les procédures à une situation où la brutalité de la rupture fait naître pour la partie que la loi n’a pas entendu protéger, un risque à l'encontre duquel le législateur n’a prévu aucun garde-fou.
Autre conséquence de la crise économique, les locataires tendent à rechercher une diminution du loyer, y compris par la voie judiciaire. Les loyers commerciaux ont certes globalement baissé, ce qui profite au locataire négociant un nouveau bail. Mais parallèlement, les loyers des baux en cours ont fortement augmenté au cours des dernières années, suivant en cela la variation des indices qui leur sont applicables (l’indice du coût de la construction a augmenté de plus de 40 % sur 9 ans et même de 37 % entre le 1er trimestre 2002 et le 3ème trimestre 2008).
Le système est donc à double vitesse. Si la règle légale prévoit que le loyer doit correspondre à la valeur locative, les parties disposent toutefois d’une liberté totale lors de la conclusion du premier bail. C’est ainsi que la loi du marché reprend ses droits et que d’autres critères que la valeur locative sont pris en compte par les parties dans leurs négociations. Dans ces conditions, il existe deux moments au cours desquels la loi envisage un retour à la valeur locative. Le premier est celui de la révision dans un cadre « triennal », également appelé légal. La jurisprudence a, à cet égard, prévu que le loyer devait s’inscrire dans une double limite constituée par le loyer d’origine et le loyer plafonné résultant de la variation de l’indice applicable. Mais la forte augmentation des indices amène de plus en plus de locataires a avoir recours au mécanisme de la révision « conventionnelle », qui prévoit une application de la valeur locative (c’est le deuxième moment) dans l’hypothèse où l’indice aurait varié de plus de 25 % par rapport au loyer d’origine. Les contentieux qui ne cessent de se développer, montrent donc que les parties doivent être extrêmement vigilantes dans la rédaction des clauses d’indexation, au risque de se trouver confrontées à un mode de fixation du loyer qui échappe à leur contrôle et sacrifie nécessairement les intérêts d’au moins une d’entre elles.
Cette pratique amène finalement à une remise en cause de l’un des fondements du droit des baux commerciaux, à savoir la règle du plafonnement, qui prévoit qu’à l’occasion de son renouvellement, le loyer ne peut dépasser un plafond constitué du loyer d’origine augmenté en fonction de la variation des indices, sauf exceptions extrêmement limitées. Résorber la détérioration des rapports locatifs accrue par la période de crise économique revient peut-être à trancher le nœud gordien, ce que ces quelques exemples ont vocation à démontrer.
De fait, malgré des ambitions de modifier en profondeur le système, le statut des baux commerciaux fait l’objet d’adaptations ponctuelles au caractère plutôt spécifique, ce qu’ont montré les récentes lois LME ou MURCEF. Par ailleurs, d’autres règles telles que l’application aux cessions de fonds de commerce du droit de préemption urbain afin de limiter la spéculation, sont en fin de compte extrêmement difficiles à justifier. Si l'évolution va dans le sens de la liberté contractuelle, l'on ne peut donc que souhaiter que les réformes soient moins timides afin de soulager les parties et les tribunaux à résoudre des situations que l’application de la loi, telle qu’elle est, risque bien souvent d’aggraver.
Par Nicolas Sidier, associé chez Péchenard et associés
et Virginie Delannoy, Avocate chez Péchenard & Associés
Commençons par la durée minimale des baux commerciaux. Le législateur a prévu que celle-ci était de neuf ans et que seul le locataire pouvait résilier de façon anticipée le bail à l’occasion de périodes triennales (à la condition toutefois que les parties n’aient pas dérogées à cette règle en prévoyant une durée plus longue). Cette disposition engendre un effet pervers en temps de crise, lorsque le locataire exprime le besoin de mettre un terme de façon anticipée au bail. À défaut d’accord avec son bailleur, celui-ci reste en effet tenu au règlement des loyers et charges jusqu’à la fin de la période triennale en cours, ce qui risque de compromettre définitivement sa situation.
Un autre obstacle au règlement rapide des difficultés de chacune des parties concerne la durée et la technicité des procédures, qui s’étalent sur plusieurs années et entraînent quasis systématiquement la désignation d’un expert judiciaire. Il est ainsi de plus en plus fréquent qu’une simple procédure en fixation d’un prix aboutisse à un jugement qui rétroagit sur une période importante créant pour chacune des parties un risque de trésorerie extrêmement important. Le législateur est certes intervenu à l’occasion de la loi de sauvegarde du 26 juillet 2005, afin d’assouplir les conditions de résiliation par le locataire, prévoyant désormais que l’administrateur judiciaire a le pouvoir de mettre fin au bail à tout moment sans préavis dans un cadre échappant quasiment à tout formalisme. Mais l’on passe du coup d’un extrême à l’autre, de situations où les difficultés s’accumulent au fil des années que durent les procédures à une situation où la brutalité de la rupture fait naître pour la partie que la loi n’a pas entendu protéger, un risque à l'encontre duquel le législateur n’a prévu aucun garde-fou.
Autre conséquence de la crise économique, les locataires tendent à rechercher une diminution du loyer, y compris par la voie judiciaire. Les loyers commerciaux ont certes globalement baissé, ce qui profite au locataire négociant un nouveau bail. Mais parallèlement, les loyers des baux en cours ont fortement augmenté au cours des dernières années, suivant en cela la variation des indices qui leur sont applicables (l’indice du coût de la construction a augmenté de plus de 40 % sur 9 ans et même de 37 % entre le 1er trimestre 2002 et le 3ème trimestre 2008).
Le système est donc à double vitesse. Si la règle légale prévoit que le loyer doit correspondre à la valeur locative, les parties disposent toutefois d’une liberté totale lors de la conclusion du premier bail. C’est ainsi que la loi du marché reprend ses droits et que d’autres critères que la valeur locative sont pris en compte par les parties dans leurs négociations. Dans ces conditions, il existe deux moments au cours desquels la loi envisage un retour à la valeur locative. Le premier est celui de la révision dans un cadre « triennal », également appelé légal. La jurisprudence a, à cet égard, prévu que le loyer devait s’inscrire dans une double limite constituée par le loyer d’origine et le loyer plafonné résultant de la variation de l’indice applicable. Mais la forte augmentation des indices amène de plus en plus de locataires a avoir recours au mécanisme de la révision « conventionnelle », qui prévoit une application de la valeur locative (c’est le deuxième moment) dans l’hypothèse où l’indice aurait varié de plus de 25 % par rapport au loyer d’origine. Les contentieux qui ne cessent de se développer, montrent donc que les parties doivent être extrêmement vigilantes dans la rédaction des clauses d’indexation, au risque de se trouver confrontées à un mode de fixation du loyer qui échappe à leur contrôle et sacrifie nécessairement les intérêts d’au moins une d’entre elles.
Cette pratique amène finalement à une remise en cause de l’un des fondements du droit des baux commerciaux, à savoir la règle du plafonnement, qui prévoit qu’à l’occasion de son renouvellement, le loyer ne peut dépasser un plafond constitué du loyer d’origine augmenté en fonction de la variation des indices, sauf exceptions extrêmement limitées. Résorber la détérioration des rapports locatifs accrue par la période de crise économique revient peut-être à trancher le nœud gordien, ce que ces quelques exemples ont vocation à démontrer.
De fait, malgré des ambitions de modifier en profondeur le système, le statut des baux commerciaux fait l’objet d’adaptations ponctuelles au caractère plutôt spécifique, ce qu’ont montré les récentes lois LME ou MURCEF. Par ailleurs, d’autres règles telles que l’application aux cessions de fonds de commerce du droit de préemption urbain afin de limiter la spéculation, sont en fin de compte extrêmement difficiles à justifier. Si l'évolution va dans le sens de la liberté contractuelle, l'on ne peut donc que souhaiter que les réformes soient moins timides afin de soulager les parties et les tribunaux à résoudre des situations que l’application de la loi, telle qu’elle est, risque bien souvent d’aggraver.
Par Nicolas Sidier, associé chez Péchenard et associés
et Virginie Delannoy, Avocate chez Péchenard & Associés
12:02 Écrit par JCJ dans On a lu | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : nicolas sidier, péchenard, virginie delannoy | Facebook | | Imprimer |